L’être humain se nourrit de rêves et de projets. Ce recueil nous relate « la vie », avec ses hauts et ses bas, ses blancs et ses noirs, ses obstacles et ses espoirs. La conclusion est parfois triste, parfois gaie. Ces textes nous content la société d’aujourd’hui avec tout ce qu’elle peut avoir d’inégalités.
Critique I
par À l'ombre des nénuphars
"Davantage que des textes à chute, ces nouvelles sont des clichés qui insistent sur un instant précis d’une vie. Ce moment où, dans « Radio Soleil », le jeune homme qui travaille à casser des pierres comprend qu’il n’échappera jamais à cet enfer sur terre ; celui où une mère accorde toute sa confiance et son amour inconditionnel à son fils ; celui où une amoureuse prend conscience de l’univers qui la sépare de la famille de son amoureux… Parfois des charnières, parfois un instantané, tous sont des moments précieux comme les personnages. Comme souvent dans le cas des recueils numériques, je regrette de ne pouvoir le feuilleter, pour y piocher quelques phrases, me remémorer des mots, des émotions. Il m’en reste le souvenir d’une auteure qui sait faire jaillir la lumière, mais qui n’hésite pas à jouer avec les ombres, tout en finesse.
« Radio Soleil » : dans l’enfer d’une carrière à ciel ouvert, les hommes – parfois des enfants encore – fondent sous la chaleur et la fatigue en rêvant de l’Europe, en cauchemardant au souvenir d’un retour humiliant… : « (…) ça fait mal de rêver ». Triste et cruel comme l’indifférence face à l’exploitation de l’homme par l’homme.
« Tu seras qui tu voudras, mon fils » : une lettre à un fils, comme d’autres en ont écrit, me direz-vous ; peut-être, mais cette mère s’adresse à un enfant que les autres considèrent comme « pas normal » : « Les obstacles se trouvent dans leur esprit étroit. Non dans le tien. Tu as le monde à tes pieds. Le ciel est ta limite ». Poignant, tendre, très fort.
« Maman, tu crois en Dieu ? » : le dialogue là aussi tendre mais dur entre une mère et sa fille, laquelle soulève les interrogations fondamentales de l’humanité sous une apparente naïveté enfantine. « Elle hocha la tête et mit son pouce dans la bouche. »
« fierté : n.f., sentiment élevé de sa propre valeur » : un court texte de réflexion très juste sur l’utilisation souvent galvaudée du mot « fierté ». « Mais peut-être que (…) ce n’est pas de la fierté, mais de la dignité. Et la dignité est un droit universel. »
« Peau de ma peau » : lorsqu’une mère entend sa fille renier, en une phrase, sa famille, son histoire, ses origines, cette erreur d’adolescente la blesse ; c’est l’amour inconditionnel qu’elle porte à sa fille qui soulagera peut-être cette douleur. « Je t’ai aimée chaque jour de ta vie depuis ta conception. Et je ne t’aimerai pas moins aujourd’hui parce que tu feras des erreurs toute ta vie et que je suis ta mère. (…) Tu devras m’accepter telle que je suis. » Là aussi, ça tape juste et très habilement.
« Lettre à l’amoureux » : quatre versions d’une même lettre, dans l’attente inquiète avant la rencontre avec ses parents pour la première fois. Percutant. « Je veux que tu me dépouilles de ce qui fait de moi celle que je suis, que tu oublies ce qui t’attire, ce que tu aimes. (…) Déshumanise-moi. »
« Amère » : on dévoile ici la relation complexe entre une fille adulte et sa mère, qui rêvait pour sa progéniture d’un « bon » mariage et qui, vingt ans après, ne désespère pas de la « remettre dans le droit chemin » : « Pour Charlotte, sa mère ne diffère pas beaucoup d’une statue : il y a un creux à la place du cœur ». Une scène courte, qui révèle énormément, et une fin optimiste.
« Sauveur » : dix ans ont passé depuis le quinzième anniversaire de Filipa, depuis le soir où sa route a croisé celle de Salvador ; le temps n’a aucune prise sur ce qu’elle a vécu alors, et lorsqu’elle le croise une nouvelle fois, pour un autre anniversaire, leurs vies vont certainement changer. « Et d’un seul coup, la vie de Filipa s’est brisée pour la deuxième fois ». Un court récit, quasi cinématographique, qui remue les tripes.
« Les vies rêvées de Jerusha » : une petite fille très riche servie par un gentil majordome et qui ne rêve que d’écrire ; deux sœurs dont l’une vit un peu hors du monde ; une adolescente qui rêverait, elle aussi, d’écrire, mais qui est née sous de mauvais auspices… La fin de la nouvelle révèle le lien entre les trois et apporte un éclairage nouveau sur tout le début du texte. « Cette vie n’est pas celle dont j’avais rêvé, alors j’écris des histoires. (…) Je ne sais pas si c’est trop demander, mais s’il te plaît, laisse-moi juste le temps d’être une enfant. »
« La Marchande d’œufs » : confession à la première personne d’une femme qui est marchande d’œufs, mais bien d’autres choses encore. Un très bel exemple de la richesse que le quotidien cache. « Les autres marchandes et moi sommes interchangeables, nous qui vous servons chaque semaine depuis des années. »
« Enfant de la ville, enfant de la brousse » : en une rencontre se révèle le clash de deux univers ; Luanda et Luena, deux villes de l’Angola, un même pays, une même histoire… et peut-être est-ce le poids écrasant de cette histoire commune qui sépare les protagonistes de la nouvelle, comme il sépare peut-être les habitants de l’Angola. « (…) Luanda est un labyrinthe où je n’ai pas la même chance que Thésée. Je ne peux pas échapper au Minotaure qui tous les jours mange un peu de moi. »
« Errances » : lui vit dans la rue, sur un bout de carton, au pied d’un immeuble ; elle vit dans l’immeuble, vie apparemment rangée. Pourtant, lui voit bien qu’elle vit dans la peur… Très belle histoire de solidarité – et on sort de cette dernière nouvelle le cœur malgré tout serré de vivre dans une société si dure.
Jo Ann Von Haff est une auteure cosmopolite qui défend ses valeurs à la force de sa plume, à suivre dans ses pérégrinations. Elle nous offre ici un recueil humaniste servi par un style précis, soigné, sans concession et pourtant souvent très tendre, et dans lequel on aborde des thèmes fondamentaux, comme les relations parents-enfants, l’exil, la dignité et ce qui la bafoue."
Critique II
par Vivre l'été avec le monde enchanté de mes lectures
"Les récits de Jo Ann von Haff sont très émouvants, ils vous touchent en plein coeur.
Ils vous raconte la vie de certaines personnes, cela va de la lettre d'une mère à son fils autiste, à la querelle d'une mère et de sa fille, en passant par les émotions d'un sans-abris face à une femme qui va lui redonner l'espoir.
Tout n'est pas noir ou blanc, mais peut passez par le gris. Chaque récit a sa propre conclusion qui nous émeut obligatoirement, et pourtant ce sont des choses qui arrivent chaque jour sans qu'on ne les voit, mais qui touche tellement de personnes.
Des récits courts, parfois plus longs, mais toujours remplis d'émotions. Certains ne se terminent pas forcément sur une note d'espoir, mais dans le drame ou l'incompréhension des autres. Certains peuvent vous toucher de près, d'autres de loin et d'autres pas du tou, mais vous ressentez cette émotion que Jo Ann fait passer dans chacun de ses petits bouts de vies.
C'est une lecture assez rapide, mais où vous serez émus du début à la fin. Un recueil à découvrir sans attendre et que je vous conseille vivement."