Neuf nouvelles douces amères qui jettent un regard inattendu sur la Bretagne profonde, celle des faits-divers, de l’alcool et de la solitude, mais aussi celle des personnages hauts en couleurs et amoureux de leur pays. Neuf textes noirs et gris, comme un temps de crachin.
Critique I
par Atea
"Le résumé ne mentait pas lorsqu’il parlait d’alcool et de solitude.
Dans ce recueil, il y avait pour moi, un thème fondamental au dessus des deux cités : la Mort.
La mort du corps par le suicide, par accident de voiture, des suites d’une maladie… et la mort de l’esprit par le suicide (aussi), l’inceste et la pédophilie, la misère sociale, et cette solitude trop lourde pour les épaules de nos personnages…
Nous ressentons à chaque nouvelle cette ambiance lourde, ce vécu écrasant, oppressant. Et il a pour ma part réussi à faire exploser cette sensation de solitude, à renforcer l’aspect dramatique dans la majorité de ces dernières phrases. Dans les deux dernières nouvelles (Confession et Intron Santez Anna), j’ai trouvé que les phrases n’avaient pas le même impact, la même intensité et j’ai été quelque peu frustrée puisque je m’attendais et espérais même tomber sur ces phrases si froides et si justes à la fois.
Quatre nouvelles ont, pour moi, vraiment servi ce thème par le travail de fond ont été : Le Beau-Père, Retour de Flammes, Samedi Soir et En quête :
Le Beau-père aborde la pédophilie intrafamiliale, à travers un rapport, des entretiens entre une Experte et la Victime. Cette distance dans le temps par rapport aux actes, et le fait que l’entretien soit guidé, amène un autre élément non négligeable : l’intervention des affects de l’Experte elle-même. D’ailleurs, au premier abord, j’avais trouvé dommage d’alourdir le texte en incluant la conclusion du rapport. En le relisant, je trouve que cela amène de la froideur, et la raison du mal être de l’Experte, ce sentiment curieux de trahison. Ce rapport permet également de mettre un terme au temps des « confidences » et permet d’assister à la libération de la Victime, quoiqu’un peu rapide à mon goût pour être totalement crédible. Cette impression de précipitation pourrait nuire mais, la qualité de l’écriture fait qu’on oublie un peu vite ce point.
Retour de Flammes, une tentative de meurtre dans un contexte d’alcoolisme, d’une enfant orpheline de mère. Il s’agit pour moi de l’histoire la plus travaillée, la plus aboutie, la plus intéressante. Les personnages ont du vécu, ont des attitudes, une psychologie qui transparaît dans chaque mot, chaque paragraphe. Et surprise, un changement de narrateur à un instant drôlement surprenant, maîtrisé et il sert assez bien l’histoire. Un vrai plaisir. A lire pas à vivre… ^^
Samedi soir est construite à partir d'une double histoire, une double narration pour un scénario dramatique de vitesse, d’accident de voiture, de mort. Le suspense croît au fur et à mesure, on sait, on sent que cela va arriver et on ne peut l’empêcher. C’est le reflet de la réalité, on sait que c’est inéluctable. Et si le nombre de prénoms peut freiner au début, cela se met vite en place une fois que l’on est assis dans la voiture, place du passager, place du mort… et chacun devient réel, vivant à nos yeux grâce à l’investissement mis dans la personnalisation des protagonistes.
J’aborderais la dernière nouvelle, En quête, dans ma dernière partie.
Le résumé ne mentait pas lorsqu’il parlait de neuf textes noirs et gris comme un temps de crachin.
La Bretagne est nommée haut et fort dans le résumé. Pour le regard inattendu, j’avoue être moins convaincue. Cela ne m’a pas surpris de lire ce genre de nouvelles sur la Bretagne. Mais, si la Bretagne ne jouit pas forcément d’une belle image dans les faits divers, il me semble que, finalement peu de campagnes profondes jouissent d’une belle image. Aussi, ces faits divers pourraient tout aussi bien avoir eu lieu dans le Nord ou au fin fond de l’Ariège, je n’y aurais pas vu de différence. La première nouvelle L’Alliance nous plonge littéralement dans la Bretagne par son ambiance, par son champ lexical, par les lieux choisis, de même que les nouvelles Breton, Maître chez toi et Intron Santez Anna.
Mais cet aspect peut parfois nuire à la nouvelle elle-même lorsque la description prend plus de place que l’anecdote elle-même. L’Alliance me fait ressentir un petit déséquilibre : L’installation du décor avec la présentation de notre narrateur écrivain ainsi que la description du Banc Bleu prend à mon sens trop de place à la lecture par rapport à l’anecdote en elle-même. Je m’attendais d’ailleurs à en lire davantage et j’ai été frustrée de voir le point final !)
En revanche, dans les autres nouvelles, il y a certes des évocations de noms et de routes mais n’étant pas du tout de Bretagne, je ne me suis pas sentie dépaysée par rapport à une autre campagne. (Et j’aime à croire que chacune possède ses particularités.) D’ailleurs, la nouvelle Intron Santez Anna m’a un peu frustrée. Elle reprend le même mode de narration que la première nouvelle (à savoir un souvenir raconté par un vieux loup de mer) sans pour autant aller au bout de ses capacités, c’est à dire aborder les superstitions quant aux bateaux, à la mer, etc… En ce sens, je l’ai trouvé avortée puisqu’elle aurait pu nous emmener au large, nous imprégner réellement de l’esprit breton car même si le champ lexical est très bien employé, comme dit auparavant, le fond est aussi important que la forme.
Par contre, lorsque le résumé parle de personnages hauts en couleurs, j’y mettrais un bémol.
J’ai trouvé que certains personnages manquaient de profondeur, manquaient d’épaisseur, de psychologie propre (La voix de Lenaïk, Breton maître chez toi). Ils étaient caricaturaux et j’ai trouvé cela dommage puisque justement les faits divers n’ont pas de mal à caricaturer, ridiculiser et uniformiser les gens. Par ailleurs, certains personnages très bien posés ne sont, pour ma part, pas assez mis en valeur : dans la nouvelle l’Alliance, le Capitaine est un personnage que l’on imagine parfaitement, travaillé, avec une personnalité et des attitudes marquantes, contrairement au narrateur initial, il est donc dommage de faire intervenir ce dernier, et peut-être l’auteur s’en est-il rendu compte puisqu’il disparaît simplement sans dernière intervention pour clore l’anecdote.
Par ailleurs, les personnages trop communs, caricaturaux nuisent clairement à l’histoire en elle-même. Si La voix de Lenaïk tente de faire passer un message sincère sur le temps qui passe et les imprévus de la vie qui rendent les lendemains incertains pour chacun d’entre nous avec l’importance de dire aux gens ce que vous ressentez aujourd’hui, avant qu’ils ne meurent, la fadeur des personnages empêche de ressentir une émotion réelle, l’intensité du vécu. J’ai trouvé les rencontres entre les personnages assez plates alors qu’elles auraient pu être pleines de sens, même s’ils ne s’apprécient guère, par des descriptions de ce qu’il voit et de ce qu’il ressent (puisque le choix pour cette nouvelle est d’écrire à la première personne.) Et c’est à cause de cela que j’ai trouvé la nouvelle La voix de Lenaïk la moins agréable à lire. D’ailleurs, dans cette nouvelle, il me semble qu’il y a un souci de chronologie. (Il écoute un message vocal de Lenaïk, dit qu’il croise le fils le lendemain et là, apprend que la personne est décédée il y a de cela dix jours… )
Il reste une nouvelle dont je n’ai pas parlé, il s’agit de la nouvelle En quête. Je n’ai pas trouvé d’histoire de fond dramatiques comme dans les trois nouvelles mises en avant, mais plutôt une expression pure et simple de la Solitude et ce fut tout autant agréable. De petits instants, des petits regards et attitudes qui servent cette ambiance, et cela grâce à la peinture du personnage principal aussi vraie que nature. Une fille perdue, triste, grise, aimable à l’excès par peur de la solitude, s’enfermant dans des rapports physiques faussés, sans amour, sans désir. On ressent l’immense désarroi du protagoniste grâce à une description pointue de ses émotions, aspirations, rêves, et grâce à son observation naïve, on ressent cette confrontation à la réalité. Dure, froide, misérable. Un choc qui l’amène sur des terrains plus que glissants. Elle fait tout pour oublier sa solitude, et pour s’oublier, elle s’alcoolise à n’en plus finir."